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la bête, ils semblent moins profonds, moins variés, moins regrettés. La société, en un mot, a pour but, chez l’homme, la conservation de l’espèce et de l’individu ; chez les animaux, beaucoup plus la conservation de l’espèce.

Jusqu’à présent nous ne découvrons rien que l’homme puisse revendiquer pour lui seul ; l’instinct de société, le sens moral, lui est commun avec la brute ; et quand il s’imagine, pour quelques œuvres de charité, de justice et de dévouement, devenir semblable à Dieu, il ne s’aperçoit pas qu’il n’a fait qu’obéir à une impulsion tout animale. Nous sommes bons, aimants, compatissants, justes, en un mot, comme nous sommes colères, gourmands, luxurieux et vindicatifs, c’est-à-dire comme des bêtes. Nos vertus les plus hautes se réduisent, en dernière analyse, aux excitations aveugles de l’instinct : quel sujet de canonisation et d’apothéose !

Il y a pourtant une différence entre nous autres bimano-bipèdes et le reste des vivants ; quelle est-elle ?

Un écolier de philosophie se hâterait de répondre : Cette différence consiste en ce que nous avons conscience de notre sociabilité, et que les animaux n’ont pas conscience de la leur ; en ce que nous réfléchissons et raisonnons sur les opérations de notre instinct social, et que rien de semblable n’a lieu chez les animaux.

J’irai plus loin : c’est par la réflexion et le raisonnement dont nous paraissons exclusivement doués que nous savons qu’il est nuisible, d’abord aux autres, ensuite à nous-mêmes, de résister à l’instinct de société qui nous gouverne, et que nous appelons justice ; c’est la raison qui nous apprend que l’homme égoïste, voleur, assassin, traître à la société, en un mot, pèche contre la nature, et se rend coupable envers les autres et envers lui-même lorsqu’il fait le mal avec connaissance ; c’est enfin le sentiment de notre instinct social d’une part et de notre raison de l’autre qui nous fait juger que l’être semblable à nous doit porter la responsabilité de ses actes. Tel est le principe du remords, de la vengeance et de la justice pénale.

Mais tout cela fonde entre les animaux et l’homme une