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Si quelqu’un se fût autrefois avisé de soutenir la seconde partie de cette proposition, sa thèse aurait paru scandaleuse, blasphématoire, offensant la morale et la religion ; les tribunaux ecclésiastiques et séculiers l’eussent condamnée à l’unanimité. Et de quel style on eût flétri l’immoral paradoxe ! « La conscience, se serait-on écrié, la conscience, cette gloire de l’homme, n’a été donnée qu’à lui seul ; la notion du juste et de l’injuste, du mérite et du démérite, est son noble privilége ; à l’homme seul, à ce roi de la création, la sublime faculté de résister à ses terrestres penchants, de choisir entre le bien et le mal, et de se rendre de plus en plus semblable à Dieu, par la liberté et la justice… Non, la sainte image de la vertu ne fut jamais gravée que dans le cœur de l’homme. » Paroles pleines de sentiment, mais vides de sens.

L’homme est un animal parlant et social, zôon logikon kaï politikon, a dit Aristote. Cette définition vaut mieux que toutes celles qui ont été données depuis : je n’en excepte pas même la définition célèbre de M. de Bonald, l’homme est une intelligence servie par des organes, définition qui a le double défaut d’expliquer le connu par l’inconnu, c’est-à-dire l’être vivant par l’intelligence, et de se taire sur la qualité essentielle de l’homme, l’animalité.

L’homme est donc un animal vivant en société. Qui dit société dit ensemble de rapports, en un mot, système. Or, tout système ne subsiste qu’à de certaines conditions : quelles sont donc les conditions, quelles sont les lois de la société humaine ?

Qu’est-ce que le droit entre les hommes, qu’est-ce que la justice ?

Il ne sert à rien de dire, avec les philosophes des diverses écoles : C’est un instinct divin, une immortelle et céleste voix, un guide donné par la nature, une lumière révélée à tout homme venant au monde, une loi gravée dans nos cœurs ; c’est le cri de la conscience, le dictamen de la raison, l’inspiration du sentiment, le penchant de la sensibilité ; c’est l’amour de soi dans les autres, l’intérêt bien entendu ; ou bien, c’est une notion innée, c’est l’impératif