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vous êtes maître de votre argent, comme je le suis de ma marchandise : j’en veux tant. Qui cédera ? le plus faible.

Donc, sans la force, la propriété est impuissante contre la propriété, puisque sans la force elle ne peut s’accroître par l’aubaine ; donc, sans la force, la propriété est nulle.

Commentaire historique. — La question des sucres coloniaux et indigènes nous fournit un exemple frappant de cette impossibilité de la propriété. Abandonnez à elles-mêmes les deux industries, le fabricant indigène sera ruiné par le colon. Pour soutenir la betterave, il faut grever la canne : pour maintenir la propriété de l’un, il faut faire injure à la propriété de l’autre. Ce qu’il y a de plus remarquable dans cette affaire est précisément ce à quoi l’on a fait le moins attention, savoir, que de façon ou d’autre la propriété devait être violée. Imposez à chaque industrie un droit proportionnel, de manière à les équilibrer sur le marché, vous créez un maximum, vous portez à la propriété une double atteinte : d’une part, votre taxe entrave la liberté du commerce ; de l’autre, elle méconnaît l’égalité des propriétaires. Indemnisez la betterave, vous violez la propriété du contribuable. Exploitez, au compte de la nation, les deux qualités de sucre, comme on cultive diverses qualités de tabac, vous abolissez une espèce de propriété. Ce dernier parti serait le plus simple et le meilleur : mais pour y amener la nation, il faudrait un concours d’esprits habiles et de volontés généreuses, impossible à réaliser aujourd’hui.

La concurrence, autrement dite la liberté du commerce, en un mot la propriété dans les échanges, sera longtemps encore le fondement de notre législation commerciale, qui, du point de vue économique, embrasse toutes les lois civiles et tout le gouvernement. Or, qu’est-ce que la concurrence ? un duel en champ clos, dans lequel le droit se décide par les armes.

Qui ment, de l’accusé ou du témoin, disaient nos barbares ancêtres ? — Qu’on les fasse battre, répondait le juge encore plus barbare ; le plus fort aura raison.

Qui de nous deux vendra des épices au voisin ? — Qu’on