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d’être dit, on comprend qu’il peut régner un grand luxe dans une nation sans qu’elle en soit plus riche ; qu’elle sera même d’autant plus pauvre qu’on y verra plus de luxe, et vice versa. Les économistes, il faut leur rendre cette justice, ont inspiré une telle horreur du luxe, qu’aujourd’hui un très grand nombre de propriétaires, pour ne pas dire presque tous, honteux de leur oisiveté, travaillent, épargnent, capitalisent. C’est tomber de fièvre en chaud mal.

Je ne saurais trop le redire : le propriétaire qui croit mériter ses revenus en travaillant, et qui reçoit des appointements pour son travail, est un fonctionnaire qui se fait payer deux fois : voilà toute la différence qu’il y a du propriétaire oisif au propriétaire qui travaille. Par son travail, le propriétaire ne produit que ses appointements, il ne produit pas ses revenus. Et comme sa condition lui offre un avantage immense pour se pousser aux fonctions les plus lucratives, on peut dire que le travail du propriétaire est encore plus nuisible qu’utile à la société. Quoi que fasse le propriétaire, la consommation de ses revenus est une perte réelle, que ses fonctions salariées ne réparent ni ne justifient, et qui anéantirait la propriété, si elle n’était sans cesse réparée par une production étrangère.

II. Le propriétaire qui consomme annihile donc le produit : c’est bien pis quand il s’avise d’épargner. Les choses qu’il met de côté passent dans un autre monde ; on ne revoit plus rien, pas même le caput mortuum, le fumier. S’il existait des moyens de transport pour voyager dans la lune, et qu’il prît fantaisie aux propriétaires d’y porter leurs épargnes, au bout d’un certain temps notre planète terraquée serait transportée par eux dans son satellite.

Le propriétaire qui épargne empêche les autres de jouir sans jouir lui-même ; pour lui, ni possession ni propriété. Comme l’avare, il couve son trésor, il n’en use pas. Qu’il en repaisse ses yeux, qu’il le couche avec lui, qu’il s’endorme en l’embrassant : il aura beau faire, les écus n’engendrent pas les écus. Point de propriété entière sans jouissance, point de jouissance sans consommation, point de consom-