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tandis que tel autre n’en aura qu’une. Si, par exemple, je jouis d’un million de revenu, c’est-à-dire si je suis propriétaire d’une fortune de 30 à 40 millions en biens fonds, et que cette fortune compose à elle seule la 30,000e partie du capital national, il est clair que la haute administration de mon bien forme la 30,000e partie du gouvernement, et, si la nation compte 34 millions d’individus, que je vaux moi seul autant que 1,133 actionnaires simples.

Ainsi, quand M. Arago demande le suffrage électoral pour tous les gardes nationaux, il est parfaitement dans le droit, puisque tout citoyen est inscrit pour au moins une action nationale, laquelle lui donne droit à une voix ; mais l’illustre orateur devait en même temps demander que chaque électeur eût autant de voix qu’il possède d’actions, comme nous voyons qu’il se pratique dans les sociétés de commerce. Car autrement ce serait prétendre que la nation a droit de disposer des biens des particuliers sans les consulter, ce qui est contre le droit de propriété. Dans un pays de propriété, l’égalité des droits électoraux est une violation de la propriété.

Or, si la souveraineté ne peut et ne doit être attribuée à chaque citoyen qu’en raison de sa propriété, il s’ensuit que les petits actionnaires sont à la merci des plus forts, qui pourront, dès qu’ils en auront envie, faire de ceux-là leurs esclaves, les marier à leur gré, leur prendre leurs femmes, faire eunuques leurs garçons, prostituer leurs filles, jeter les vieux aux lamproies, et seront même forcés d’en venir là, si mieux ils n’aiment se taxer eux-mêmes pour nourrir leurs serviteurs. C’est le cas où se trouve aujourd’hui la Grande-Bretagne : John Bull, peu curieux de liberté, d’égalité, de dignité, préfère servir et mendier : mais toi, bonhomme Jacques ?

La propriété est incompatible avec l’égalité politique et civile, donc la propriété est impossible.

Commentaire historique. 1o Lorsque le doublement du tiers fut décrété par les états généraux de 1789, une grande violation de la propriété fut commise. La noblesse et le clergé possédaient à eux seuls les trois quarts du sol français ; la