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pêtes. Donc je crois que vous avez fait avec la propriété ce que Rousseau a fait, il y a quatre-vingts ans, avec les lettres : une magnifique et poétique débauche d’esprit et de science. Telle est du moins mon opinion.

« C’est ce que j’ai dit à l’Institut le jour où j’ai rendu compte de votre livre. J’ai su qu’on voulait le poursuivre juridiquement ; vous ne saurez peut-être jamais par quel hasard j’ai été assez heureux pour l’empêcher[1]. Quel éternel chagrin pour moi, si le procureur du roi, c’est-à-dire l’exécuteur des hautes œuvres en matière intellectuelle, fût venu après moi, et comme sur mes brisées, attaquer votre livre et tourmenter votre personne ! J’en ai passé deux terribles nuits, je vous le jure, et je ne suis parvenu à retenir le bras séculier qu’en faisant sentir que votre livre était une dissertation d’académie, et non point un manifeste d’incendiaire. Votre style est trop haut pour jamais servir aux insensés qui discutent à coups de pierre dans la rue les plus grandes questions de notre ordre social. Mais prenez garde, monsieur, qu’ils ne viennent bientôt malgré vous chercher des matériaux dans ce formidable arsenal, et que votre métaphysique vigoureuse ne tombe aux mains de quelque sophiste de carrefour qui la commenterait devant un auditoire famélique : nous aurions le pillage pour conclusion et pour péroraison.

  1. M. Vivien, ministre de la justice, avant d’ordonner aucune poursuite contre le Mémoire sur la propriété, voulut avoir l’opinion de M. Blanqui, et ce fut sur les observations de cet honorable académicien qu’il épargna un écrit contre lequel les fureurs du parquet étaient déjà soulevées. M. Vivien n’est pas le seul homme du pouvoir auquel, depuis ma première publication, j’aie dû assistance et protection : mais une telle générosité dans les régions politiques est assez rare pour qu’on la reconnaisse gracieusement et sans restriction. J’ai toujours pensé, quant à moi, que les mauvaises institutions faisaient les mauvais magistrats, de même que la lâcheté et l’hypocrisie de certains corps viennent uniquement de l’esprit qui les gouverne. Pourquoi, par exemple, malgré les vertus et les talents qui brillent dans leur sein, les académies sont-elles en général des centres de répression intellectuelle, de sottise et de basse intrigue ? Cette question mériterait d’être proposée par une académie : il y aurait des concurrents.