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un travail de cette gravité les allures et l’apparence d’un pamphlet ; car vous m’avez bien fait peur, monsieur, et il n’a fallu rien moins que votre talent pour me rassurer sur vos intentions. On ne dépense pas tant de véritable savoir pour mettre le feu à son pays. Cette proposition si crue, la propriété, c’est le vol ! était de nature à dégoûter de votre livre même les esprits sérieux qui ne jugent pas d’un sac par l’étiquette, si vous aviez persisté à la maintenir dans sa sauvage naïveté. Mais si vous avez adouci la forme, vous ne demeurez pas moins fidèle au fond de vos doctrines, et quoique vous m’ayez fait l’honneur de me mettre de moitié dans cette prédication périlleuse, je ne puis accepter une solidarité qui m’honorerait assurément pour le talent, mais qui me compromettrait pour tout le reste.

« Je ne suis d’accord avec vous qu’en une seule chose, c’est qu’il y a trop souvent abus dans ce monde de tous les genres de propriété. Mais je ne conclus pas de l’abus à l’abolition, expédient héroïque trop semblable à la mort, qui guérit tous les maux. J’irai plus loin : je vous avouerai que de tous les abus, les plus odieux selon moi sont ceux de la propriété ; mais encore une fois, il y a remède à ce mal sans la violer, surtout sans la détruire. Si les lois actuelles en règlent mal l’usage, nous pouvons les refaire. Notre code civil n’est pas le Koran ; nous ne nous sommes pas fait faute de le prouver. Remaniez donc les lois qui règlent l’usage de la propriété, mais soyez sobre d’anathèmes ; car avec la logique, quel est l’honnête homme qui aurait les mains tout à fait pures ? Croyez-vous qu’on puisse être voleur sans le savoir, sans le vouloir, sans s’en douter ? N’admettez-vous pas que la société actuelle ait dans sa constitution, comme tout homme, toutes sortes de vertus et de vices dérivés de nos aïeux ? La propriété est-elle donc à vos yeux une chose si simple et si abstraite, que vous puissiez la repétrir et l’égaliser, si j’ose ainsi dire, au laminoir de la métaphysique ? Vous avez dit, monsieur, dans ces deux belles et paradoxales improvisations, trop d’excellentes choses pratiques pour être un utopiste pur et inflexible. Vous connaissez trop bien la langue économique et la langue académique pour jouer avec des mots gros de tem-