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la possession ? Le travailleur n’est pas même possesseur de son produit ; à peine l’a-t-il achevé, que la société le réclame.

Mais, dira-t-on, quand cela serait, quand même le produit n’appartiendrait pas au producteur, puisque la société donne à chaque travailleur un équivalent de son produit, c’est cet équivalent, ce salaire, cette récompense, cet appointement, qui devient propriété. Nierez-vous que cette propriété ne soit enfin légitime ? Et si le travailleur, au lieu de consommer entièrement son salaire, fait des économies, qui donc osera les lui disputer ?

Le travailleur n’est pas même propriétaire du prix de son travail, et n’en a pas l’absolue disposition. Ne nous laissons point aveugler par une fausse justice : ce qui est accordé au travailleur en échange de son produit ne lui est pas donné comme récompense d’un travail fait, mais comme fourniture et avance d’un travail à faire. Nous consommons avant de produire : le travailleur, à la fin du jour, peut dire : J’ai payé ma dépense d’hier ; demain, je payerai ma dépense d’aujourd’hui. À chaque instant de sa vie, le sociétaire est en avance à son compte courant ; il meurt sans avoir pu s’acquitter : comment pourrait-il se faire un pécule ?

On parle d’économies : style de propriétaire. Sous un régime d’égalité, toute épargne qui n’a pas pour objet une reproduction ultérieure ou une jouissance est impossible : pourquoi ? parce que cette épargne ne pouvant être capitalisée, se trouve dès ce moment sans but, et n’a plus de cause finale. Ceci s’entendra mieux à la lecture du chapitre suivant.

Concluons :

Le travailleur est, à l’égard de la société, un débiteur qui meurt nécessairement insolvable : le propriétaire est un dépositaire infidèle qui nie le dépôt commis à sa garde, et veut se faire payer les jours, mois et années de son gardiennage.

Les principes que nous venons d’exposer pouvant paraître encore trop métaphysiques à certains lecteurs, je vais les reproduire sous une forme plus concrète, saisissable aux