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pour un principe : ce n’est pas le gain qui doit évaluer le talent ; c’est au contraire par le talent que doivent être évalués les honoraires ; car il peut arriver qu’avec tout son mérite, le médecin en question ne gagne rien du tout : faudra-t-il en conclure que le talent ou la fortune de ce médecin équivaut à zéro ? Telle serait pourtant la conséquence du raisonnement de Say, conséquence évidemment absurde.

Or l’évaluation en espèces d’un talent quelconque est chose impossible, puisque le talent et les écus sont des quantités incommensurables. Sur quelle raison plausible prouverait-on qu’un médecin doit gagner le double, le triple ou le centuple d’un paysan ? Difficulté inextricable, qui ne fut jamais résolue que par l’avarice, la nécessité, l’oppression. Ce n’est pas ainsi que doit être déterminé le droit du talent. Mais comment faire cette détermination ?

4o Je dis d’abord que le médecin ne peut être traité moins favorablement que tout autre producteur, qu’il ne peut rester au-dessous de l’égalité : je ne m’arrêterai point à le démontrer. Mais j’ajoute qu’il ne peut pas davantage s’élever au-dessus de cette même égalité, parce que son talent est une propriété collective qu’il n’a point payée et dont il reste perpétuellement débiteur.

De même que la création de tout instrument de production est le résultat d’une force collective, de même aussi le talent et la science dans un homme sont le produit de l’intelligence universelle et d’une science générale lentement accumulée par une multitude de maîtres, et moyennant le secours d’une multitude d’industries inférieures. Quand le médecin a payé ses professeurs, ses livres, ses diplômes et soldé toutes ses dépenses, il n’a pas plus payé son talent que le capitaliste n’a payé son domaine et son château en salariant ses ouvriers. L’homme de talent a contribué à produire en lui-même un instrument utile : il en est donc co-possesseur ; il n’en est pas le propriétaire. Il y a tout à la fois en lui un travailleur libre et un capital social accumulé : comme travailleur, il est préposé à l’usage d’un instrument, à la direction d’une machine, qui est sa propre capacité ; comme