Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/138

Cette page a été validée par deux contributeurs.

des capacités : le caractère du génie, le sceau de sa gloire, est de ne pouvoir naître et se développer qu’au sein d’une nationalité immense. Mais cette condition physiologique du génie n’ajoute rien à ses droits sociaux : loin de là, le retardement de son apparition démontre que, dans l’ordre économique et civil, la plus haute intelligence est soumise à l’égalité des biens, égalité qui lui est antérieure et dont elle forme le couronnement.

Cela est dur à notre orgueil, mais cela est d’une inexorable vérité. Et ici la psychologie vient appuyer l’économie sociale, en nous faisant comprendre qu’entre une récompense matérielle et le talent, il n’existe pas de commune mesure ; que, sous ce rapport, la condition de tous les producteurs est égale ; conséquemment, que toute comparaison entre eux et toute distinction de fortunes est impossible.

En effet, tout ouvrage sortant des mains de l’homme, comparé à la matière brute dont il est formé, est d’un prix inestimable : à cet égard, la distance est aussi grande entre une paire de sabots et un tronc de noyer, qu’entre une statue de Scopas et un bloc de marbre. Le génie du plus simple artisan l’emporte autant sur les matériaux qu’il exploite, que l’esprit d’un Newton sur les sphères inertes dont il calcule les distances, les masses et les révolutions. Vous demandez pour le talent et le génie la proportionnalité des honneurs et des biens : évaluez-moi le talent d’un bûcheron, et je vous évaluerai celui d’un Homère. Si quelque chose peut solder l’intelligence, c’est l’intelligence. C’est ce qui arrive quand de producteurs d’ordres divers se paient un tribut réciproque d’admiration et d’éloges. Mais s’agit-il d’un échange de produits, dans le but de satisfaire des besoins mutuels ? cet échange ne peut s’effectuer que sous la raison d’une économie indifférente aux considérations de talent et de génie, et dont les lois se déduisent, non d’une vague et insignifiante admiration, mais d’une juste balance

    pour un homme de lettres, qui n’est ni savant, ni artiste, ni philosophe, ni économiste, et qui écrit des romans en feuilletons ? Aucun.