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cuse pas de tergiverser et de tourner les difficultés, j’accorde toutes les inégalités de talent qu’on voudra[1]. Certains philosophes, amoureux du nivellement, prétendent que toutes les intelligences sont égales, et que toute la différence entre elles vient de l’éducation. Je suis loin, je l’avoue, de partager cette doctrine, qui, d’ailleurs, si elle était vraie, conduirait à un résultat directement contraire à celui qu’on se propose. Car, si les capacités sont égales, quel que soit d’ailleurs le degré de leur puissance, comme personne ne peut être contraint, ce sont les fonctions réputées grossières, viles ou trop pénibles, qui doivent être les mieux payées, ce qui ne répugne pas moins à l’égalité qu’au principe, à chaque capacité selon ses œuvres. Donnez moi, au contraire, une société dans laquelle chaque espèce de talent soit en rapport de nombre avec les besoins, et où l’on n’exige de chaque producteur que ce que sa spécialité l’appelle à produire, et tout en respectant la hiérarchie des fonctions, j’en déduirai l’égalité des fortunes.

Ceci est mon second point.

II. Rapports. En traitant de l’élément du travail, j’ai fait voir comment, dans un même genre de services productifs, la capacité de fournir une tâche sociale étant donnée à tous, l’inégalité des forces individuelles ne peut fonder aucune inégalité de rétribution. Cependant il est juste de dire que certaines capacités semblent tout à fait incapables de certains services, tellement que si l’industrie humaine était tout à coup bornée à une seule espèce de produits, il surgirait aussitôt des incapacités nombreuses, et partant, la plus grande inégalité sociale. Mais tout le monde voit, sans que je le dise, que la variété des industries prévient les inutilités ; c’est une vérité si banale que je ne m’y arrêterai pas. La question se réduit, donc à prouver que les fonctions

  1. Je ne conçois pas comment, pour justifier l’inégalité des conditions, l’on ose alléguer la bassesse d’inclinations et de génie de certains hommes. D’où vient cette honteuse dégradation du cœur et de l’esprit dont nous voyons tant de victimes, si ce n’est de la misère et de l’abjection où la propriété les rejette ? La propriété fait l’homme eunuque, puis elle lui reproche de n’être qu’un bois desséché, un arbre stérile.