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trouvés supérieurs par la raison et la vertu par des démagogues crapuleux et imbéciles. De pareilles folies se renouvelleront, tant qu’à une populace aveugle et opprimée par la richesse, l’inégalité des fortunes donnera lieu de craindre l’élévation de nouveaux tyrans.

Rien ne semble plus monstrueux que ce que l’on regarde de trop près : rien n’est souvent moins vraisemblable que le vrai. D’autre part, selon J.-J. Rousseau, « il faut beaucoup de philosophie pour savoir observer une fois ce que l’on voit tous les jours ; » et, selon d’Alembert, « le vrai qui semble se montrer de toutes parts aux hommes, ne les frappe guère, à moins qu’ils n’en soient avertis. » Le patriarche des économistes, Say, à qui j’emprunte ces deux citations, aurait pu en faire son profit ; mais tel qui rit des aveugles, devrait porter bésicles, et tel qui le remarque, est atteint de myopie.

Chose singulière ! ce qui a tant effarouché les esprits, n’est pas une objection ; c’est la condition même de l’égalité !…

L’inégalité de nature, condition de l’égalité des fortunes !… quel paradoxe !… – Je répète mon assertion, afin qu’on ne pense pas que je me méprenne : l’inégalité des facultés est la condition sine quâ non de l’égalité des fortunes.

Il faut distinguer dans la société deux choses : les fonctions et les rapports.

I. Fonctions. Tout travailleur est censé capable de l’œuvre dont il est chargé, ou, pour m’exprimer comme le vulgaire, tout artisan doit connaître son métier. L’ouvrier, suffisant à son ouvrage, il y a équation entre le fonctionnaire et la fonction.

Dans une société d’hommes, les fonctions ne se ressemblent pas : il doit donc exister des capacités différentes. De plus, certaines fonctions exigent une intelligence et des facultés plus grandes ; il existe donc des sujets d’un esprit et d’un talent supérieur. Car l’œuvre à accomplir amène nécessairement l’ouvrier : le besoin donne l’idée, et c’est l’idée qui fait le producteur. Nous ne savons que ce que l’excita-