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toute production. J’accorde, pour le moment, qu’à cet égard le capitaliste se soit dûment acquitté.

Il faut que le travailleur, outre sa subsistance actuelle, trouve dans sa production une garantie de sa subsistance future, sous peine de voir la source du produit tarir, et sa capacité productive devenir nulle ; en d’autres termes il faut que le travail à faire renaisse perpétuellement du travail accompli : telle est la loi universelle de reproduction. C’est ainsi que le cultivateur propriétaire trouve : 1o dans ses récoltes, les moyens non-seulement de vivre lui et sa famille, mais d’entretenir et d’améliorer son capital, d’élever des bestiaux, en un mot de travailler encore et de reproduire toujours ; 2o dans la propriété d’un instrument productif, l’assurance permanente d’un fonds d’exploitation et de travail.

Quel est le fonds d’exploitation de celui qui loue ses services ? le besoin présumé que le propriétaire a de lui, et la volonté qu’il lui suppose gratuitement de l’occuper. Comme autrefois le roturier tenait sa terre de la munificence et du bon plaisir du seigneur, de même aujourd’hui l’ouvrier tient son travail du bon plaisir et des besoins du maître et du propriétaire : c’est ce qu’on nomme posséder à titre précaire[1]. Mais cette condition précaire est une injustice, car elle implique inégalité dans le marché. Le salaire du travailleur ne dépasse guère sa consommation courante et ne lui assure pas le salaire du lendemain, tandis que le capitaliste trouve dans l’instrument produit par le travailleur un gage d’indépendance et de sécurité pour l’avenir.

Or, ce ferment reproducteur, ce germe éternel de vie, cette préparation d’un fonds et d’instruments de production, est ce que le capitaliste doit au producteur, et qu’il ne lui rend jamais : et c’est cette dénégation frauduleuse qui fait l’indigence du travailleur, le luxe de l’oisif et l’inégalité des conditions. C’est en cela surtout que consiste ce que l’on

  1. Précaire, de precor, je prie, parce que l’acte de concession marquait expressément que le seigneur avait concédé aux prières de ses hommes ou serfs la permission de travailler.