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chose que personne n’avait droit d’aliéner ni de vendre.

Une autre raison pour laquelle la prescription ne peut être invoquée en faveur de la propriété, raison tirée du plus fin de la jurisprudence, c’est que le droit de possession immobilière fait partie d’un droit universel qui, aux époques les plus désastreuses de l’humanité, n’a jamais péri tout entier ; et qu’il suffit aux prolétaires de prouver qu’ils ont toujours exercé quelque parti de ce droit, pour être réintégrés dans la totalité. Celui, par exemple, qui a le droit universel de posséder, donner, échanger, prêter, louer, vendre, transformer ou détruire une chose, conserve ce droit tout entier par le seul acte de prêter, n’eût-il jamais autrement manifesté son domaine ; de même nous verrons que l’égalité des biens, l’égalité des droits, la liberté, la volonté, la personnalité, sont autant d’expressions identiques d’une seule et même chose, du droit de conservation et de développement, en un mot, du droit de vivre, contre lequel la prescription ne peut commencer à courir qu’après l’extermination des personnes.

Enfin, quant au temps requis pour prescrire, il serait superflu de montrer que le droit de propriété en général ne peut être acquis par aucune possession de dix, de vingt, de cent, de mille, de cent mille ans ; et que, tant qu’il restera une tête humaine capable de comprendre et de contester le droit de propriété, ce droit ne sera jamais prescrit. Car il n’en est pas d’un principe de jurisprudence, d’un axiome de la raison, comme d’un fait accidentel et contingent : la possession d’un homme peut prescrire contre la possession d’un autre homme ; mais, de même que le possesseur ne saurait prescrire contre lui-même, de même aussi la raison a toujours la faculté de se réviser et réformer ; l’erreur passée ne l’engage pas pour l’avenir. La raison est éternelle et toujours identique ; l’institution de la propriété, ouvrage de la raison ignorante, peut être abrogée par la raison mieux instruite : ainsi la propriété ne peut s’établir par la prescription. Tout cela est si solide et si vrai, que c’est précisément sur ces fondements que s’est établie la maxime, qu’en matière de prescription l’erreur du droit ne profite pas.