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Londres, Paris, Vienne, Hambourg, Francfort, Amsterdam, qui, après l’envahissement des provinces Danubiennes, a forcé les ministres de France et d’Angleterre de déclarer que cet envahissement ne serait pas regardé comme casus belli ? N’est-ce pas elle encore qui, après l’entrée des flottes dans la mer Noire, a voulu que cette manifestation fût présentée comme un acte de protection pour la Turquie, nullement comme un fait d’hostilité envers les Russes ? Donc que la Porte cède ; que le tsar se déclare satisfait, et que tout rentre dans le statu quo. Hausse pour la paix, 15 centimes.

Mais les vœux des mortels, même quand ils s’élèvent du sanctuaire de Mammon, sont impuissants contre le destin. Une force supérieure, invisible, inconnue, pèse sur les conseils de l’Europe ; et la Bourse, qui parle de résignation, ne peut faire autre chose que rétrograder.

Le 13 décembre, menaces du parti turcophile, à Londres ; baisse de 25 centimes.

Le 14 et le 15, articles du Times hostiles à la Russie : baisse de 95 cent.

Le 16, on parle de la retraite de lord Aberdeen, dernier espoir d’une solution pacifique  : baisse de 5 cent.

Le 17, ordre à l’amiral Hamelin d’entrer dans la mer Noire : baisse de 35 cent. Le 3 0/0 reste à 74 50.

Chaque probabilité de conflit est accueillie par une baisse désespérée ; chaque dépêche, apportée par le paquebot ou le télégraphe, et révélant une velléité de paix, est saluée par une hausse furieuse. La spéculation agite la diplomatie, qui réagit sur la spéculation. Plus que jamais les hommes d’État protestent de leurs intentions modérées : selon qu’ils se montrent belliqueux ou paisibles, ils reçoivent les applaudissements ou les imprécations des hommes d’affaires. La retraite de lord Palmerston est reçue par 10 cent. de hausse ; l’annonce d’un manifeste guerrier de Napoléon par 40 cent. de baisse. La Bourse, mieux que le conseil des ministres, sait ce qu’elle veut et où elle va : ses oscillations sont plus explicites que tous les protocoles. À ses yeux, une rixe entre les deux empereurs serait infailliblement suivie d’une conflagration européenne, guerre de religion, guerre de races