tout cela pêche par la base. Quelle loi peut empêcher un agent de change de posséder des titres de rente et des actions de chemins de fer ? Aucune. La qualité de rentier et propriétaire d’actions n’a rien d’incompatible avec celle d’officier ministériel. Étant donc ou pouvant être légalement propriétaire de valeurs, qui peut empêcher l’agent de vendre ? Qui peut l’empêcher d’acheter ? qui peut être juge mieux que lui de l’opportunité de la vente et de la suffisance du prix ? — Son mandat, dites-vous, lui défend de se livrer à aucune opération pour son compte personnel. N’est-ce que cela ? Il fera ses opérations sous le nom d’un tiers, ou par l’entremise d’un collègue.
« Autour de l’agent gravitent toujours cinq ou six associés commanditaires, dont plusieurs n’ont acheté leur fraction de charge que dans l’intention de jouer avec plus de sécurité, et surtout d’être initiés aux grandes opérations de la place. » (Almanach de la Bourse pour 1857.)
Il est clair d’après cela que tout agent de change est dans l’occasion prochaine, presque dans la nécessité de forfaire à son mandat. Comment, dès lors, n’en chercherait-il pas les moyens ? Et qui nous dit que, malgré les tours qu’ils se jouent, la corporation tout entière des agents de change n’est pas coalisée ?… Or, la porte une fois ouverte à l’abus, l’abus ne connaît plus de bornes. Bientôt il juge que ces précautions sont hypocrisie pure, et il s’en dispense : c’était probablement le cas de l’agent tancé par M. Mirès. Du contrebandier au brigand, il n’y a pas l’épaisseur d’un cheveu, témoin Mandrin. Mais qui fait la contrebande ? L’insolidarité universelle. Nous rentrons dans notre thèse.
Passons à d’autres.
« Le prince de Talleyrand, dit M. de Mériclet, avait très-bien compris la difficulté des jeux de Bourse, l’impossibilité des bénéfices en jouant pour jouer. Quand il faisait une opération, il la voulait faire à coup sûr. Ce n’était jamais qu’avec l’appui d’un secret important, ou d’un événement dont il prévoyait la portée, qu’il se mettait au jeu. Il était d’ailleurs très-méfiant. Ce fut lui qui répondit à l’un de ses amis, qui se plaignait d’avoir été trompé au jeu : « C’est abominable ; mais trouvez-moi donc un autre moyen de gagner ! »