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raient pas que Louis Blanc et Albert n’avaient aucun moyen de donner suite à leurs audacieux projets, et que leur influence sur le gouvernement provisoire était à peu près nulle ; mais la bourgeoisie, pour quelques circulaires échappées du ministère de l’intérieur, s’imaginait que la République allait faire main-basse sur les revenus et les propriétés. De toutes parts c’était donc vers le gouvernement, c’était vers Ledru-Rollin que montaient les appréhensions et les vœux. Tout le monde cherchant une occasion, elle ne pouvait longtemps faire faute ; un prétexte puéril la fournit.

Le 16 mars, quelques centaines de gardes nationaux se présentent à l’Hôtel-de-Ville pour protester contre l’ordonnance qui supprimait les compagnies d’élite, et défendait en conséquence le port des bonnets à poil. Cette manifestation, dirigée surtout contre Ledru-Rollin, se trompait d’adresse : il n’y avait alors rien de commun entre les idées politiques du ministre de l’intérieur et les théories socialistes du président du Luxembourg. Mais le branle était donné, les destins allaient s’accomplir.

Le gouvernement tint bon contre les bonnets à poil : aidé de quelques patriotes rassemblés à la hâte, il refoula la manifestation. Le bruit ne s’en fut pas plus tôt répandu, que l’alarme fut donnée aux faubourgs. On avait osé attaquer le gouvernement provisoire : une contre-manifestation fut assignée au lendemain pour le soutenir. Or cette nouvelle manifestation ne fut bientôt elle-même, comme avait été la première, qu’un prétexte. Dans l’esprit d’un certain nombre de chefs, il ne s’agissait pas moins que de modifier la composition du gouvernement, de le forcer à prendre une initiative vigoureuse, et, pour donner toute latitude à son action, d’obtenir d’abord un ajournement plus ou moins éloigné des élections. Des listes circulaient de main en main, et Huber, mon voisin à la Conciergerie, l’un des fauteurs du mouvement, m’a assuré que mon nom se trouvait sur quel-