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il les prend pour guides et consacre leur droit. La Révolution de 89 partit de la même source : elle était faite dans l’opinion quand elle fut déclarée par le pouvoir. Dans un autre ordre d’idées, quand l’État s’est-il occupé de canaux et de chemins de fer ? quand a-t-il voulu avoir une marine à vapeur ? Après les essais multipliés, et le succès publiquement reconnu des premiers entrepreneurs.

Il était réservé à notre époque de tenter, chose qui ne s’était jamais vue, une révolution par le pouvoir, et puis de la faire rejeter par la nation. Le socialisme existait et se propageait depuis dix-huit ans, sous la protection de la Charte, qui reconnaissait à tous les Français le droit de publier et faire imprimer leurs opinions. Les démagogues de février eurent le secret, en traînant le socialisme au pouvoir, de soulever contre lui l’intolérance et de faire proscrire jusqu’aux idées. Ce sont eux qui, par ce fatal renversement des principes, firent éclater l’antagonisme entre la bourgeoisie et le peuple, antagonisme qui n’avait point paru dans les trois journées de 1848, non plus qu’en celles de 1830 ; qui ne ressortait point de l’idée révolutionnaire, et qui devait aboutir à la plus sanglante catastrophe, comme à la plus ridicule débâcle.

Pendant que le Gouvernement provisoire, dépourvu du génie des Révolutions, se séparant à la fois et de la bourgeoisie et du peuple, perdait les jours et les semaines en tâtonnements stériles, agitations et circulaires, un je ne sais quel socialisme gouvernemental enfiévrait les âmes, affectait la dictature, et, chose étonnante pour qui n’a pas étudié la mécanique de ces contradictions, donnait lui-même, contre sa propre théorie, le signal de la résistance.