Page:Proudhon - Les Confessions d'un révolutionnaire.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’hui, était de compter, pour la liberté et la prospérité publiques, beaucoup plus sur l’action du pouvoir que sur l’initiative des citoyens ; d’attribuer à l’État une intelligence et une efficacité qui ne lui appartiennent pas ; de chercher UN HOMME, en qui l’on pût se remettre tout à fait du soin de la Révolution. La fatigue, d’ailleurs, était générale ; on soupirait après le repos. Le pays semblait une assemblée d’actionnaires attendant un gérant : Bonaparte se présenta ; il fut élu aux acclamations.

Mais le pouvoir a sa logique, logique inflexible, qui ne cède point aux espérances de l’opinion, qui ne se laisse jamais détourner du principe, et n’admet pas d’accommodements avec les circonstances. C’est la logique du boulet, qui frappe la mère, l’enfant, le vieillard, sans dévier d’une ligne ; la logique du tigre qui se gorge de sang, parce que son appétit veut du sang ; la logique de la taupe qui creuse son souterrain ; la logique de la fatalité. Sous la Monarchie réformée, le gouvernement avait été infidèle ; sous la Convention, violent ; sous le Directoire, impuissant. Maintenant on voulait, pour conduire la Révolution, un pouvoir fort : on fut servi à souhait. Le pouvoir, dans la main de Bonaparte, devint si fort, qu’il n’y eut bientôt de place dans la République que pour l’homme qui la représentait. La Révolution, c’est moi, disait Bonaparte, la main sur la garde de son épée. Il aurait pu dire tout aussi bien : le droit divin, c’est moi. Jamais conquérant, en effet, n’exprima le pouvoir avec autant de vérité. Il voulut que le pape vînt le sacrer à Paris, lui, un soldat de fortune, en signe de sa déité impériale. Pauvres badauds ! nous eûmes le temps de gémir sur notre folle confiance, quand nous vîmes le chef de l’État mettre partout sa volonté à la place de celle du peuple, confisquer une à une toutes nos libertés, provoquer contre nous le soulèvement de l’Europe, et deux fois de suite amener l’étranger sur le sol de la patrie. Alors, contre