Le suffrage universel et direct.
Jusqu’ici le suffrage universel et direct, a donné, pour le représenter, une majorité composée d’orléanistes, de légitimistes, de bonapartistes, de prêtres, de hauts bourgeois, et pour président, un prince, Louis Bonaparte.
Il se peut qu’il produise, en 1852, une majorité non moins considérable, de banquiers honnêtes, d’avocats diserts, de propriétaires libéraux, de fabricants progressistes, d’ouvriers éclairés, de patrons irréprochables, et pour président de la République, le général Cavaignac, ou M. Carnot.
Mais, par le cours naturel des choses et les revirements de l’opinion, il est immanquable qu’à une troisième, quatrième, ou cinquième fournée, le suffrage universel et direct donne une majorité également profonde et compacte, composée de socialistes, de communistes, d’anarchistes, d’athées, de meurent-de-faim, et pour président, Blanqui, Greppo, Adam le cambreur, ou tout autre.
Pour que le suffrage universel et direct n’en vînt pas là, il faudrait que ses premiers élus se chargeassent de satisfaire à toutes les aspirations et besoins du Peuple : ce qui est contre l’hypothèse.
Ainsi, le suffrage universel, dans l’état actuel des esprits, et avec le préjugé politique régnant, doit engendrer tour-à-tour, le gouvernement de ceux qui ne possèdent pas par ceux qui possèdent, et de ceux qui possèdent par ceux qui ne possèdent pas ; du grand nombre par le petit, et du petit par le grand ; des besoins par les institutions, et des institutions par les besoins : en deux mots, tantôt la tyrannie, et tantôt l’anarchie. Est-ce là une société ? est-ce là de l’ordre et du progrès ? N’est-il pas évident que bientôt le pays, fatigué de tous ces mouvements de bas en haut et de haut en bas, se dégoûtera de toute espèce de gouvernement, et qu’à une centralisation excessive succédera tôt ou tard une dissolution complète ?....