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Le jacobinisme se reconnaît à sa nullité philosophique et au vide de sa parole. S’adressant moins à la raison du peuple qu’à ses passions, il l’agite, il ne sait point le faire agir. Mais cette agitation même est le côté utile du jacobinisme : là où le peuple tombe dans l’indifférence, la société est près de périr.

Le socialisme conçoit l’ordre social comme le résultat d’une science positive et objective ; mais, comme tout essor scientifique, il est sujet à prendre ses hypothèses pour des réalités, ses utopies pour des institutions.

L’absolutisme, fort de sa priorité, j’ai presque dit de son droit d’aînesse, mais dupe de son principe, dont toute l’efficacité est de s’abroger lui-même, toujours en œuvre de restauration, ne sert qu’à alimenter les révolutions ; — le juste-milieu s’efforce d’enrayer le char révolutionnaire, et réussit seulement à le précipiter ; — le jacobinisme prétend accélérer le mouvement et le fait réagir ; — le socialisme, faisant violence aux traditions, finit souvent par s’excommunier de la société.

Du reste, il en est des partis politiques comme des systèmes de philosophie. Ils s’engendrent et se contredisent réciproquement, comme tous les termes extrêmes, se suscitent l’un l’autre, s’excluent, parfois semblent s’éteindre pour reparaître à de longs intervalles. Tout homme qui raisonne et qui cherche à se rendre compte de ses opinions, soit en politique, soit en philosophie, se classe immédiatement lui-même, par le seul fait du jugement qu’il exprime, dans un parti ou système quelconque : celui-là seul qui ne pense pas n’est d’aucun parti, d’aucune philosophie, d’aucune religion. Et tel est précisément l’état habituel des masses, qui, hors les époques d’agitation, semblent complètement indifférentes aux spéculations politiques et religieuses. Mais ce calme, cette ataraxie superficielle du peuple n’est point stérile. C’est le peuple qui, à la longue, sans théories, par ses créa-