Page:Proudhon - Les Confessions d'un révolutionnaire.djvu/353

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les temps modernes, n’ait eu le droit, à un moment donné, de se regarder comme le foyer du mouvement et le sommet de la société. Si ce rôle messianique, que tant de races ont tour à tour rempli, semble échoir à certains pays plus souvent qu’à d’autres, cela tient uniquement à des nécessités de circonstance et de position, dans lesquelles la volonté et la vertu nationale n’entrent absolument pour rien. J’ose même dire que la détermination involontaire, et presque toujours inconsciente, du peuple initiateur, est le plus sûr gage de son infaillibilité, et le motif décisif de l’assentiment des autres. Si les Romains, par exemple, ont soumis un moment le monde connu, ç’a été bien moins, comme l’a cru Montesquieu, par la puissance de leurs armes et l’habileté de leur politique, que par la loi révolutionnaire qui exigeait, pour la suite du progrès, cette vaste centralisation....

Il en est ainsi de la prépondérance qu’a obtenue, à diverses reprises, la nation française. Cette prépondérance a toujours été l’effet d’une situation forcée, nullement d’une vocation mystérieuse ou d’un génie spécial. Loin de là, on peut dire que si, au point de vue qui nous occupe, nous nous distinguons des autres peuples, c’est bien plutôt, comme je le disais tout-à-l’heure, par notre instinct de conservation, notre déférence pour la coutume, notre amour des conditions modestes, notre antipathie pour tout ce qui est exagération et recherche. En aucun pays, autant qu’en France, ne règne le respect de l’opinion, l’autorité, de l’usage, la raison de l’habitude. Et je n’entends point faire de ceci un blâme pas plus qu’un éloge. Nul ne peut faire violence à son inclination, et l’inclination d’un peuple n’est qu’un instrument entre les mains de la Destinée.

Comme dans les événements qui se préparent, cet amour des situations moyennes, particulier à notre pays, est justement ce qui doit, en dernière analyse, faire la force et assurer le succès de la Révolution, nous allons étudier de