majorité et la minorité se manifestent ; c’est de lui que la majorité tire son droit en même temps que son existence, de telle sorte que, si le suffrage universel était supprimé, toute minorité pourrait, sans être contredite, se dire majorité, et conséquemment en appeler à l’insurrection. Voilà ce qui légitime la conspiration de trente ans dont on a vu certains membres du Gouvernement provisoire s’enorgueillir à la tribune. De 1814 à 1848, le suffrage universel n’existant pas, la légitimité du gouvernement pouvait toujours être suspectée ; et l’expérience a deux fois prouvé qu’en effet, hors du suffrage universel, cette légitimité du gouvernement est nulle.
En deux mots, et nonobstant tout vote contraire du peuple ou de ses représentants, le consentement tacite ou manifeste du peuple, contre le suffrage universel, ne se présume pas[1].
Telle est, d’après nos constitutions imparfaites et nos traditions révolutionnaires, la jurisprudence, si j’ose ainsi dire, du droit d’insurrection. Ce qu’il importe le plus d’en retenir, c’est qu’avec le progrès de la démocratie ce terrible droit s’abroge de lui-même ; et l’on peut affirmer qu’à moins d’une restauration, désormais impossible, des idées absolutistes, le temps des conspirations et des révoltes est passé.
Venons à la résistance légale.
- ↑ Ceci a été écrit plus de six mois avant la loi du 31 mai 1850, qui a privé plus de 3,000,000 de citoyens de leur droit électoral, et substitué au suffrage universel le suffrage restreint. Lors du vote de cette loi, j’étais à Doullens, où l’administration m’avait fait transférer pour un article relatif aux élections d’avril. Il ne tint pas à mes collaborateurs de la Voix du Peuple, que les démocrates ne missent en pratique les principes développés dans mes Confessions. La police y pourvut à temps, en supprimant le journal ; et le Peuple, mieux avisé, je le reconnais, comprit qu’il valait mieux, pour la défense de ses droits, laisser le Pouvoir se perdre par la violation du pacte, que de lui fournir l’occasion d’un massacre inutile, et peut-être d’une victoire. Tout a été profit pour la Révolution dans cette sage conduite, qui a fermé pour jamais le retour au jacobinisme.