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ne nous résistait. Les considérations qui, avant le 10 décembre, avaient fait redouter au socialisme l’alliance de la Montagne, ne subsistaient plus : cette alliance devenait tout profit, tout bénéfice. Louis Bonaparte élu à une majorité écrasante, la réaction rendue par lui si redoutable, l’espérance de ressaisir le pouvoir disparaissait pour longtemps aux yeux des Montagnards, engagés par leur programme, et forcés de marcher où il nous plairait de les conduire.

Deux choses étaient à faire : en premier lieu, absorber la question politique dans la question sociale, en attaquant simultanément et de front le principe capitaliste et le principe d’autorité ; secondement, faire produire à celui-ci toutes les conséquences de sa dernière formule, en autres termes, aider la présidence, autant qu’il serait en nous, dans son œuvre de suicide.

Par là, la vieille société était arrachée de ses fondements ; le jacobinisme devenait pur socialisme ; la démocratie se faisait plus libérale, plus philosophique, plus réelle ; le socialisme lui-même sortait de son enveloppe mythologique, et se posait, comme sur deux colonnes, sur la double négation de l’usure et du pouvoir. Partant de là, le système social se dégageait de la fumée des utopies ; la société prenait conscience d’elle-même, et la liberté se développait sans contradiction, sous l’aile du génie populaire.

En même temps le pouvoir accomplissait paisiblement sa destinée. La liberté, qui autrefois l’avait produit, étendait sur lui le suaire : le triomphe du socialisme était de le faire mourir, comme dit naïvement le peuple, de sa belle mort[1].

Mais, à côté du capital et du pouvoir, il était une troisième puissance qui, depuis soixante ans, paraissait en-

  1. Il y a bientôt deux ans que ces pages ont été écrites. On ne peut nier aujourd’hui que les prévisions de l’auteur n’aient été fidèlement remplies.