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L’homme est le Moi de la Providence comme de la Nature. Il est rare qu’il n’ait pas une intuition, un sentiment quelconque de sa destinée ; et Louis Bonaparte, expliquant de sa haute fortune ce que personne, sans lui, n’en aurait su comprendre, est le plus frappant exemple de cette identité du sujet et de l’objet qui fait le fond de la métaphysique moderne.

Pour apprécier toute la profondeur du jugement porté par Louis Bonaparte sur lui-même, prouvons d’abord que, suivant les règles de la prudence humaine, les électeurs avaient toutes les raisons imaginables de repousser ce candidat, qui ne signifiait pour chacun d’eux que l’inconnu... L’inconnu : quelle raison électorale !

Soit que l’on considérât la personne du candidat, soit que l’on se plaçât au point de vue des partis qui divisaient la République, il me semblait impossible d’arriver à une explication. Sans doute, le scrutin du 10 décembre m’avait appris ce dont la France ne voulait pas : cinq millions et demi de voix données à un exilé sans titres, sans antécédents illustres, sans parti, contre moins de deux millions inégalement distribuées entre Cavaignac, Ledru-Rollin, Raspail, Changarnier, Lamartine, le faisaient assez connaître. Mais ce que voulait la France, le vœu, l’idée, politique ou sociale, qu’elle poursuivait en choisissant, pour la représenter au pouvoir exécutif, Louis-Napoléon Bonaparte, jadis condamné par la cour des pairs et enfermé au château de Ham comme coupable d’attentat envers le gouvernement : voilà ce que je ne pouvais comprendre, ce qui me faisait traiter à la fois d’absurdes et les électeurs du 10 décembre qui tant se démenèrent, et l’invisible main qui les conduisit.

Rien de plus grave que les situations illogiques. Tous nos malentendus, à partir du 10 décembre, sont venus de ce que Louis Bonaparte est resté pour tout le monde un personnage incompris ; de ce que lui-même, malgré l’in-