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sation, ne paraissaient qu’en sous-œuvre ; toute la question était réduite au bon marché, à la gratuité des capitaux. Le paysan comprenait alors qu’autre chose est d’abolir l’usure, de réduire progressivement, par une concurrence établie entre le capital circulant et le capital immobile, le prix du fermage ; et autre chose de déposséder les entrepreneurs et propriétaires, sans utilité publique et sans indemnité. Le problème recevait ainsi une solution pacifique et légale : la Révolution passait sans blesser ni alarmer personne.

Les trois mois de janvier, février et mars 1849, pendant lesquels le principe du crédit gratuit a été sinon appliqué et développé, du moins formulé, concrété et jeté dans la conscience publique par la Banque du peuple, ont été le plus beau temps de ma vie : je les regarderai toujours, quoi que le ciel ordonne de moi, comme ma plus glorieuse campagne. Avec la Banque du peuple pour centre d’opérations, une armée industrielle s’organisait, innombrable, sur le terrain paisible des affaires, hors de la sphère des intrigues et des agitations politiques. C’était vraiment le nouveau monde, la société de promission, qui, se greffant sur l’ancienne, la transformait peu à peu, à l’aide du principe jusqu’alors obscur qu’elle lui empruntait. Malgré la sourde hostilité des écoles rivales[1], malgré l’indifférence du parti montagnard, dont l’attention était absorbée par la politique, le chiffre des adhésions à la Banque du peuple s’était élevé, en six semaines, à près de vingt mille, représentant une population d’au moins soixante mille personnes. Et les journaux de l’Économie politique anglaise, parce qu’ils jugent d’une opération de commerce par le nombre des commanditaires,

  1. Cette hostilité s’est révélée au grand jour dans les récentes publications de Pierre Leroux et de Louis Blanc. Tout en reconnaissant le principe de la gratuité du crédit, trop populaire pour qu’ils y fassent opposition, ces deux socialistes décrient la Banque du peuple, qu’ils traitent, le premier d’absurde, parce que la triade ne s’y trouve point ; le second d’anti-sociale, parce qu’elle suppose le principe, À chacun selon ses œuvres !