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efforts qu’on ferait pour la retenir ne serviraient qu’à la précipiter.

Un événement inattendu m’apprit bientôt que nous ne touchions pas à la fin de notre apocalypse : je veux parler de la conversion de la Montagne. Disons d’abord ce qui la détermina.

Après les journées de juin, la seule chose qu’il y eût à faire avant de rien entreprendre, était de relever le drapeau socialiste, de ranimer l’opinion et de discipliner les esprits. Le socialisme n’avait été jusque-là qu’une secte, moins que cela, une pluralité de sectes : il ne s’était point assis au banquet de la vie politique. Il fallait en faire un parti, nombreux, énergique, défini. Le courant réactionnaire nous portait en arrière : il fallait déterminer un contre-courant d’idées radicales qui nous portât en avant. Les haines s’envenimaient entre les classes : il fallait donner le change aux passions redoutables du peuple, en discutant avec lui les questions économiques ; le détourner de l’émeute, en le faisant entrer comme acteur dans les luttes parlementaires ; exalter sa patience, en lui montrant la grandeur de la Révolution ; l’intéresser à cette attitude pacifique, en la lui présentant comme son unique moyen de salut, en lui apprenant à philosopher même sur sa misère.

L’entreprise avait ses dangers. D’un côté, en posant la question révolutionnaire dans sa généralité et sa profondeur, la réaction allait crier alarme et appeler sur les novateurs de nouvelles persécutions ; d’autre part, en prêchant, à travers une polémique ardente, le calme et la patience, nous nous exposions à passer pour des endormeurs et des traîtres : il y allait de la popularité du socialisme. Mais les inconvénients étaient balancés par des avantages. Tant que le socialisme respecterait l’ordre et se tiendrait dans la légalité, la réaction en serait pour ses grognements et son impuissance ; tant que les hommes d’action de la démocratie n’auraient