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tous voulant le bien, tous seraient impuissants à le produire ? qu’au contraire, afin de s’empêcher réciproquement de faire le mal, ils se démoliraient l’un après l’autre ? Se pouvait-il qu’ayant l’oreille du peuple, ils lui laisseraient commettre la faute énorme du 15 mai ? qu’en juin ils ne sauraient répondre aux 100,000 hommes des ateliers nationaux que par des coups de fusil ? qu’une Constitution pleine d’équivoques serait votée malgré eux, presque sans eux ? qu’en décembre, un neveu de l’Empereur, sans qualité, sans titre, sans fortune, se ferait élire président de la République, à cinq millions et demi de majorité, contre les Ledru-Rollin, les Cavaignac, les Lamartine ? Non, non ! j’étais un utopiste, un frondeur, un mécontent. Il fallait garder intact le pouvoir, que le peuple avait conquis en février, et s’en servir pour son bonheur, comme la royauté s’en était servie pour le corrompre.

Vinrent les élections d’avril. J’eus la fantaisie de me porter candidat. Dans la circulaire que j’adressai aux électeurs du Doubs, sous la date du 3 avril 1848, je disais :

» La question sociale est posée : vous n’y échapperez pas. Pour la résoudre, il faut des hommes qui unissent à l’extrême de l’esprit radical l’extrême de l’esprit conservateur. Travailleurs, tendez la main à vos patrons ; et vous, patrons, ne repoussez pas l’avance de ceux qui furent vos salariés. »

Lorsque je m’exprimais ainsi, l’influence démocratique était encore dans toute sa force. Je n’ai pas attendu un revirement de fortune pour prêcher, comme but et signification du socialisme, la réconciliation universelle.

Le 16 avril vint mettre à néant ma candidature. Après cette déplorable journée, on ne voulut plus entendre parler de radicalisme extrême ; on préféra tout compromettre en se jetant dans l’extrême conservation. Je voudrais savoir de mes honorés compatriotes ce qu’ils pensent avoir gagné