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Ces lignes, écrites en 1845, sont la prophétie des événements que nous avons vus se dérouler en 1848 et 1849. C’est pour avoir obstinément voulu la révolution par le pouvoir, la réforme sociale par la réforme politique, que la révolution de Février a été ajournée et la cause du prolétariat et des nationalités perdue en première instance par toute l’Europe.[1]

  1. Cinq mois après les journées de Juin, une intrigue, formée au sein du parti dit Républicain honnête et modéré, essaya de rejeter sur le général Cavaignac seul la responsabilité entière de la guerre civile. Si le général, disait-on, faisant droit aux avertissements et aux instances de la Commission exécutive, avait fait venir plus tôt et en plus grand nombre les troupes qu’on lui demandait ; si, dès le premier jour, il avait lancé ses soldats sur les barricades au lieu de laisser l’insurrection se développer librement, les choses se fussent passées d’une autre manière, et Paris n’aurait pas été livré, pendant quatre jours, aux horreurs de la guerre civile.
    …...On en concluait tout bas, que l’émeute avait été favorisée, le massacre préparé, organisé par le général Cavaignac, de connivence avec MM. Senart et Marrast, dans le but de s’emparer, à eux trois, du gouvernement, et de former un triumvirat.
    …...Ces bruits donnèrent lieu, le 25 novembre 1848 , à une discussion solennelle de l’Assemblée constituante, qui, sur la motion de Dupont (de l’Eure), déclara que le général Cavaignac avait bien mérité de la patrie. Mais le coup était porté ; la gauche extrême, que la circonstance dans laquelle se produisait l’accusation, la mémoire des faits, la loyauté avec laquelle le général Cavaignac remit le Pouvoir, aurait dû tenir en garde contre de pareils commérages, les accueillit avec avidité : et le général Cavaignac, dont les explications ne furent point aussi péremploires qu’on pouvait l’espérer, attendu que dans sa position toute récrimination lui était interdite, le général Cavaignac, vainqueur de juin, en est demeuré le bouc émissaire.
    …...Nous qu’aucun intérêt de coterie, aucun grief personnel, aucune rivalité d’ambition n’anime, nous pouvons dire la vérité.
    …...Oui, il y eut provocation, machination, complot, contre la République, en juin 1848 : les faits que nous avons racontés, et qui tous sont authentiques, le prouvent. Les ateliers nationaux en furent le prétexte ; la dissolution de ces ateliers servit de signal.
    …...Mais, dans ce complot, tout le monde a trempé, directement ou indirectement, avec préméditation ou sans préméditation : d’abord, les légitimistes, les orléanistes, les bonapartistes, dont les orateurs menaient l’Assemblée et l’opinion, pendant que leurs agents poussaient à l’émeute ; en second lieu, les républicains modérés, au nombre desquels il faut compter MM. Arago, Garnier-Pagès, Duclerc, Pagnerre, etc., qui, tous, jouèrent un rôle actif dans la répression ; enfin la Montagne, dont l’inertie dans ces moments déplorables mérite au plus haut degré le blâme de l’histoire.
    …...Sans doute, le général Cavaignac a eu sa part dans les intrigues qui s’agitaient au sein de l’Assemblée, au-dedans et au-dessous de la Commission exécutive. Mais le faire chef de complot, et par ambition encore, lui qui ne songea seulement pas à se débarrasser, quand il le pouvait, de la concurrence de Louis Bonaparte, c’est lui supposer gratuitement avant, des idées que son élévation subite ne lui fit pas même concevoir après.
    …...Le général Cavaignac fut l’instrument d’une réaction anonyme, et pour ainsi dire acéphale, formée contre la République socialiste par l’hostilité des uns, l’inertie des autres, la peur et la folie de tous. Quant aux dispositions stratégiques, tant incriminées, du général, je dirai, sans m’en faire juge, que ce n’est point aux rouges à s’en faire les critiques ; que reprocher à Cavaignac d’avoir manqué d’énergie et de rapidité dans la répression de l’émeute, c’est se rendre solidaire, à un autre point de vue, de la provocation, en approuvant le rappel des troupes contre lequel protestait le Peuple ; enfin, que si les victoires non-sanglantes du général Changarnier aux 29 janvier et 13 juin 1849 semblent accuser la capacité du général Cavaignac, il ne faut pas non plus faire si bon marché de la force et du courage des insurgés de juin 1848. À force d’accuser le général Cavaignac, on finit par calomnier l’insurrection et par verser le mépris sur toutes les grandes journées populaires, depuis le 14 juillet 1789 jusqu’au 24 février 1848.