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armis ; et en la niant, il nie, sans le savoir, son propre héroïsme. On dirait qu’il se reproche l’indignité de son métier, qu’il est convaincu de sa scélératesse, de sa lâcheté. Son code de la guerre, il le méprise tout en s’en prévalant ; tel qu’il lui est donné de le connaître, il le regarde comme un tissu d’hypocrisies, d’inconséquences, de contradictions. Sa stratégie et sa tactique, dont le but devrait être d’assurer, par la loyauté et la sincérité du combat, l’intégrité du jugement de la force, se réduit pour l’ordinaire à une méthode de destruction à outrance, à une collection de recettes homicides, qui rappellent tantôt la chasse à courre, tantôt la chasse à l’affût ou au terrier, et que déroutent sans cesse l’imprévu, la force majeure, la ruse de l’ennemi et parfois sa sottise. De sorte que, si la guerre peut être considérée dans la généralité de l’histoire comme une divinité justicière, comme une sage et vaillante Pallas, d’un autre côté, elle nous fait payer ses arrêts de tant de maux qu’on se reprend à douter, non plus seulement du droit de la guerre, mais de toute espèce de droit, à regarder la justice comme une idéalité hors nature, et la guerre comme une Gorgone.

C’est bien pis, si des militaires, des praticiens de la guerre, nous passons à ceux qui se sont chargés de nous en apprendre la philosophie et les lois. Pour ceux-ci plus de doute : la guerre est un horrible fléau, entretenu par la scélératesse des princes et la barbarie des nations ; c’est un état contre nature dans lequel tout ce qui se passe est à rebours de la justice, et dont les actes n’ont de valeur que celle qu’ils tirent de la nécessité des faits accomplis, de la résignation des peuples et de l’amnistie réciproque des gouvernements. Tant que durera cet antagonisme, il n’y aura, disent-ils, ni vertu ni repos pour l’humanité, et le droit sera un vain mot. Car le droit civil repose sur le droit politique, lequel à son tour repose sur le droit des