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long ressentiment. Ainsi encore, usant du pouvoir souverain qui de la nation avait passé au premier magistrat, il choisit pour l’inutile et impolitique expédition de Saint-Domingue 33,000 soldats républicains dont l’esprit n’était plus en harmonie avec les principes qui avaient prévalu depuis le 18 brumaire, et pouvait exercer une influence fâcheuse sur l’armée.

J’admets cette critique : j’observe seulement, à la décharge de Napoléon, que le reproche tombe bien moins sur lui que sur ses idées, qui étaient celles de son temps.

Si, dans ces diverses circonstances, Napoléon avait agi, comme aucuns le supposent, par un machiavélisme calculé, je ne relèverais pas des actes justiciables seulement de la conscience de l’historien. Je considérerais le fondateur de la dynastie des Bonaparte comme un grand coupable et m’abstiendrais d’en parler. Mais ce n’est pas ainsi que les abus s’introduisent dans les gouvernements, et par suite dans les opérations de la guerre et la discipline des armées. Remontez la chaîne des causes, et quand vous vous imaginez n’avoir devant vous que les fautes d’un homme, vous arrivez à un courant d’opinion, à un essor des énergies nationales’qui, selon l’idée qui le dirige, tantôt porte aux nues le chef de l’état, chef en même temps de l’armée, tantôt fait de lui sa première victime. Or, qui ne voit ici que le premier consul, plus tard l’empereur, obéissait à une double influence dont il n’était pas le maître : d’un côté, la réaction du principe d’autorité après la longue agitation révolutionnaire ; de l’autre, l’idée fausse qu’on se faisait de la guerre, et qui faisait supposer que la victoire était d’autant plus glorieuse, qu’elle avait été remportée avec moins de monde sur une puissante coalition ?

En vain la routine prétendrait-elle que la nécessité le