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taire, que l’on ménage parce qu’il coûte, du reste aussi vil que ses cartouches et son fusil.

De là ces maximes judaïques, sujettes à de si monstrueuses applications, qu’à la guerre il est permis de sacrifier la partie pour sauver le tout, comme disait Caïphe, Expedit unum hominem pro populo mori ; d’exposer à une destruction certaine des régiments, des corps entiers, pour faire réussir une combinaison, pour étonner l’ennemi, quelquefois par crânerie ; d’abandonner, dans les retraites, blessés, malades, traînards et arrière-garde. De là ce principe atroce, préconisé par certains écrivains et diamétralement opposé à la loi de la guerre, que le soldat, dans une situation désespérée, doit se faire massacrer plutôt que de se rendre, parce que, si faible que soit sa défense, sa mort coûtera toujours quelque chose à l’ennemi. Delà, enfin, ce système d’entraînement qui, à défaut de patriotisme, entretient le courage du soldat, et fait de lui non plus le défenseur de son pays, mais le séide d’un ambitieux.

Tel est l’esprit dans lequel les républicains ont accusé, non sans amertume, Napoléon Ier d’avoir formé ses officiers et façonné ses armées. Ainsi, disent-ils, on le vit à Austerlitz, afin de déterminer le mouvement des alliés sur sa droite et de les faire tomber dans le piége, laisser écraser toute une aile de son armée, tandis qu’il avait sous la main 40,000 hommes qui ne prirent aucune part à l’action ; à la Moskowa, refuser sa garde, malgré les cris des soldats, ce qui rendit la victoire et plus sanglante et moins fructueuse ; au passage de la Bérésina, forcé de quitter tout et de sauver sa personne, parce que de la conservation de sa personne dépendait le salut de l’empire. Déjà on l’avait vu, dans la campagne de Marengo, plus empressé d’assurer sa propre gloire que de voler au secours de Masséna, dont les soldats sacrifiés en conservèrent un