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lection des officiers par les soldats, outre qu’elle découle du droit public de la nation, est le gage de la moralité du commandement, du civisme de l’armée, et par conséquent de sa force.

Mais sortons des considérations politiques, qui ont bien ici leur importance, et occupons-nous seulement de la chose militaire.

Par la solidarité du péril et la communauté de l’effort, une armée est une véritable association. La présence de l’ennemi met de niveau officiers et soldats ; ceux qui ont fait la guerre en savent quelque chose. Là, si la discipline est respectée, c’est à la condition que le dévouement soit réciproque, la confiance du soldat dans ses chefs absolue. Là, plus de bon plaisir, plus de passe-droit, personne de sacrifié. Le bon plaisir, devant l’ennemi, le passe-droit, est trahison ; le sacrifice d’un homme, d’un corps, hors des nécessités absolues de la bataille, assassinat. Croit-on que cette fraternité d’armes, qui dans une armée de citoyens libres s’étend du général au soldat, soit aussi bien garantie dans la constitution actuelle des armées ?

Indépendant de ses subordonnés devenus ses subalternes, l’officier, à plus forte raison le général, n’éprouve plus pour le soldat cette sollicitude dévouée qu’entretiennent l’élection et l’égalité civiques. Le grade devenu l’insigne de l’inégalité, la justice, âme de la guerre, remplacée par le commandement, un autre esprit tend à s’emparer de l’armée. C’est le monde de l’impératif, dans lequel le supérieur n’étant responsable que devant le supérieur, c’est-à-dire en réalité devant personne, l’inférieur se trouve inévitablement et indignement sacrifié. Le soldat, dans la main du général, n’est plus en effet, comme le paysan dans son village, une âme ; c’est une arme de jet, une machine à tuer, de la matière, enfin, comme les canons et les munitions, un produit de l’industrie mili-