Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le droit de la force est le tronc sur lequel bourgeonnent et se développent successivement tous les droits. Ce n’est plus, comme autrefois, la raison spéculative, une théologie naturelle ou révélée, une philosophie de la nature ou de l’esprit qui donne le critère et la loi à la raison pratique ; c’est la raison pratique, au contraire, qui donne le critère et la loi à la raison spéculative. Le xixe siècle, par cette grande et radicale interversion, a trouvé son principe, et j’ose le dire, sa religion.

« La morale, nous dit ici la Guerre, expression de la liberté et de la dignité humaine, la morale existe par elle-même : elle ne relève d’aucun principe ; elle domine toute doctrine, toute théorie. La conscience est chez l’homme la puissance supérieure, à laquelle les autres servent d’instruments et d’acolytes. De même que ce n’est pas la religion qui fait l’homme, ni le système politique qui fait le citoyen, mais bien au contraire l’homme qui fait sa religion et le citoyen qui fait son gouvernement ; de même ce n’est pas d’une métaphysique, d’un idéal ou d’une théodicée que vous devez déduire les règles de votre vie et de votre sociabilité : c’est au contraire d’après votre conscience que vous devez régler votre entendement, c’est dans le commandement de cette conscience qu’il vous faut chercher la garantie de vos idées et jusqu’au gage de votre certitude. La justice juge le dogme comme elle juge les intérêts. Suivez, mortels, l’exemple que je vous donne : comme je rends à la force ce qui est dû à la force, sans égard aux religions ni aux races, rendez à votre tour au génie ce qui est dû au génie, au travail ce qui est dû au travail, à la beauté ce qui est dû à la beauté, à la vertu ce qui est dû à la vertu. Vos droits ne sont pas un vain conceptualisme, appuyé sur de chimériques abstractions : ce sont des prérogatives réelles attachées à des facultés réelles. La justice est en vous tout à la fois réalité et pensée souveraines. C’est pourquoi vous n’aurez à l’avenir pas d’autre philosophie, pas d’autre constitution, pas d’autre religion que la