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ductive, l’extermination pour l’extermination ; il a pour but la production d’un ordre toujours supérieur, d’un perfectionnement sans fin. Sous ce rapport, il faut reconnaître que le travail offre à l’antagonisme un champ d’opérations bien autrement vaste et fécond que la guerre.

Remarquons d’abord que dans cette arène de l’industrie les forces sont en lutte non moins ardente que sur les champs de carnage ; là aussi il y a destruction et absorption mutuelle. Je dirai même que dans le travail comme dans la guerre la matière première du combat, sa principale dépense est toujours le sang humain. En un sens qui n’a rien de métaphorique, nous vivons de notre propre substance, et, par l’échange de nos produits, de la substance de nos frères. Mais il y a cette différence énorme, que dans les luttes de l’industrie il n’y a de véritablement vaincus que ceux qui n’ont point ou qui ont lâchement combattu : ce qui emporte cette conséquence que le travail rend à ses armées, et souvent au delà, tout ce qu’elles consomment, chose que la guerre ne fait pas, qu’elle ne saurait faire jamais. Dans le travail la production suit la destruction ; les forces consommées ressuscitent de leur dissolution, toujours plus énergiques. Le but de l’antagonisme, dont on veut se prévaloir, l’exige ainsi. S’il en était autrement, le monde retournerait au chaos : viendrait le jour où par la guerre il n’y aurait plus, comme à l’aurore de la création, que du vide et des atomes : Terra autem erat inanis et vacua.

Napoléon Ier avait entrevu cette vérité quand il prétendait, à l’exemple des Romains, que la guerre doit se soutenir par elle-même : « Avec des soldats, disait-il, je gagne des millions ; avec des millions je retrouve des soldats. » Le grand condottiere sentait que la guerre, pour avoir un sens, une valeur, une moralité, doit réparer ses forces à mesure qu’elle les dépense. Mais la manière dont il se flattait