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quel traitement lui préparent les civilisés, de son côté ne les ménage pas. A ses yeux, ses meurtres, ses viols, ses incendies, ne sont que des représailles. Entre semblables antagonistes la guerre peut-elle se faire selon les règles de l’honneur et du droit ? C’est comme si l’on proposait à un officier de l’armée française, décoré de la Légion d’honneur, d’échanger un coup d’épée avec un forçat. Passons à d’autres.


Les Sabines. — Grotius admet qu’une guerre soutenue par une population toute composée de mâles, dans la vue de se procurer des femmes, ainsi qu’il arriva aux Romains lorsqu’ils se mirent à enlever les filles des Sabins, ne serait pas une guerre injuste.

En effet, c’est le principe de la perpétuité des familles, par suite celui du croisement des races, qui est ici en jeu ; principe dont on a déduit dans tous les temps, malgré le préjugé le plus opiniâtre, la légitimité des mariages entre juifs et gentils, grecs et barbares, catholiques et protestants, nobles et roturiers, blancs et hommes de couleur. D’après quel article du droit des gens les Sabins prétendaient-ils rayer Romulus et ses compagnons de la liste des sociétés politiques, en refusant de s’allier à eux par le mariage ?…

En revanche, quoi de plus sacré que le droit du père de famille, celui de la femme, de refuser, l’un son enfant, l’autre sa personne, et de ne s’allier qu’à un époux de son choix ? Notez que les Romains étaient des réfugiés, quelque chose comme des bandits. L’honneur des familles, autant que la liberté des personnes, était atteint. Là donc est le nœud de la tragédie : ici la famille inviolable, par conséquent la guerre, du côté des Romains, injuste et odieuse : c’est le viol à main armée ; là Rome qui ne doit pas périr, et l’insolence sabine dégénérant en un complot contre le