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sept cents millions pas un centime n’était pour les familles, qui, tout en payant l’impôt et le décime de guerre, avaient encore à pleurer leurs enfants. Pendant la guerre de Crimée, les dépenses, tant ordinaires qu’extraordinaires, de la France, de l’Angleterre, de la Turquie et du Piémont, s’élevèrent, pour le matériel seulement, au moins à cinq milliards. Ajoutez-y deux cent mille hommes, à vingt mille francs l’un, voilà un total de neuf milliards de francs. Où la Russie aurait-elle pu prendre cette somme ? On a vu des guerres durer douze, vingt, trente, quatre-vingts et même cent ans : quelle indemnité couvrirait de pareilles dépenses ? Or, plus nous avancerons plus la guerre deviendra onéreuse, et, par l’exorbitance de ses frais, irréparable.

Ainsi, de quelque côté qu’on l’envisage, la guerre, provoquée par le déficit, place la nation qui l’entreprend entre la spoliation totale de l’ennemi et la consommation de son propre capital. Pas de milieu : il faut qu’elle mange son ennemi, ou que son ennemi la mange. Croyez-vous qu’alors elle hésitera ? Croyez-vous surtout qu’en présence de cette alternative fatale, de cet implacable dilemme, les deux partis se méprennent sur leurs intentions réciproques ?

Les exemples feront plus ici que les raisonnements. Je commence par les cas les plus simples ; nous arriverons ensuite aux plus compliqués et aux plus modernes.


Les forbans. — Une bande de pirates s’établit dans des gorges inaccessibles.au fond de baies étroites, semées de rochers perfides, inaccessibles à tous navigateurs étrangers. Tels furent ces pirates de Cilicie, à qui César, tombé entre leurs mains, promit qu’il les ferait pendre. Ces pirates enlèvent les bâtiments de commerce, pillent les cargaisons, mettent à rançon les équipages. Non contents de cela ils somment les villes et villages de leur payer tribut, à peine