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même. Non, devons-nous dire, la guerre ne peut pas être réformée, parce que sa cause première est impure ; parce que la légitimité de ses motifs politiques ne détruit pas l’ignominie de sa pensée économique ; et que toujours, par le fait de l’une ou de l’autre des puissances belligérantes, le plus souvent par le fait de toutes deux, il se mêle à la guerre un principe d’iniquité qui la corrompt dans son essence et en bannit la loyauté sans retour.

Ce vice d’origine, nous le connaissons : c’est la misère, dont l’aiguillon empoisonne les consciences, fait germer l’envie, l’ambition, l’avarice, la colère, la haine et l’orgueil ; conduit à la mauvaise foi, à la trahison, à la violence, au vol, à l’assassinat, et paralyse chez les combattants tous les sentiments moraux. Une perversité de nature est-elle susceptible de se corriger par art ou discipline, et suffit-il de réglementer la pratique pour convertir une puissance que le principe même de sa génération a déformée ? Non, répond ici pour nous la théologie chrétienne : ce qui est né mauvais ne peut changer que par une intervention du créateur ; c’est sur ce principe que s’est établie la religion du Christ. Par quel sacrement la guerre peut-elle être régénérée ? Voilà, dirait M. de Maistre, ce que vous avez à découvrir.

Considérons que par l’effet du régime moitié anarchique, moitié absolutiste, dans lequel le monde des intérêts est plongé, les nations aussi bien que les individus sont toutes, les unes à l’égard des autres, en état de suspicion invincible ; que cette suspicion, quelque soin que la diplomatie prenne de la déguiser dans ses actes, porte sur l’honorabilité même des puissances ; que dès lors les choses ne peuvent se passer entre ennemis qui se mésestiment comme le requiert l’idée d’un loyal combat ; enfin, ce qui rend le mal irrémédiable, que l’iniquité est partout, bien qu’elle ne soit pas toujours et partout égale. Conçue comme juge-