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Voilà bien l’espionnage conseillé, préconisé comme instrument de tactique, et en vertu du droit de la guerre. C’est une des qualités d’un grand général d’être bien servi, bien renseigné par ses espions. Mais s’agit-il des espions de l’ennemi, l’auteur change aussitôt de langage. Il ajoute, quelques lignes plus bas :


« Si l’humanité défend de priver de la vie l’homme contre lequel il n’y a que de simples soupçons, rien n’empêche de le retenir jusqu’à ce que ses rapports aient cessé d’offrir des dangers. Le soin de notre propre défense nous oblige, et la responsabilité de la vie de tant d’hommes confiés à notre conduite nous fait un devoir d’être inexorables pour la trahison prouvée. »


Soupçonné, l’espion est retenu ; convaincu, il est fusillé comme traître. La raison d’état militaire ne plaisante pas. Mais comment l’écrivain que je cite ne s’aperçoit-il pas que ce qu’il trouve juste de flétrir dans un cas ne peut pas devenir légitime dans l’autre ; et réciproquement que ce qu’il conseille à celui-ci, il n’a pas le droit de le proscrire chez celui-là ! L’espionnage est un fait de guerre, rien de plus : voilà ce que la logique lui commande de dire. Donc, ou revenez aux vrais principes, dont vous n’admettez que la moitié, et abstenez-vous de part et d’autre de toute trahison et guet-apens ; ou bien ayez le courage de sanctionner votre commune fourberie, et traitez réciproquement vos espions comme vous faites vos tirailleurs, vos patrouilles et vos estafettes. Il n’y a pas de milieu.

Tous les journaux ont rapporté l’histoire de cet officier autrichien qui, dans la dernière guerre, fit fusiller toute une famille piémontaise soupçonnée, à tort ou à raison, d’avoir fait l’espionnage. Onze personnes, parmi lesquelles un vieillard de soixante ans et un enfant de quatorze, fu-