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se retire, s’il peut, ou met bas les armes. Au lieu de massacrer, on fait des prisonniers, ce à quoi le vainqueur est d’autant mieux disposé qu’il s’est battu à distance, par des manœuvres et de la fusillade plutôt que par des chocs, et qu’il est moins échauffé au carnage. C’est aussi un effet de ce sentiment d’humanité, dont j’ai parlé plusieurs fois, sentiment qui a diminué les destructions de la guerre, mais sans en améliorer les mœurs, comme le prouve le fait même de l’invention et du perfectionnement des armes à feu. Autrefois, le nombre des morts et des blessés pendant les deux premiers actes de la bataille était moindre ; le massacre ne commençait qu’au dernier acte. Aujourd’hui l’on se foudroie à distance, en quantité énorme et en nombre à peu près égal ; l’avantage du vainqueur est dans le nombre des prisonniers. Ici l’humanité triomphe, j’en tombe d’accord, mais à la fin ; elle est sacrifiée au commencement. Compensation faite, la valeur militaire a perdu, et la guerre se déprave.

En révolution, disait amèrement Danton, lorsqu’il se vit enlacé par l’astuce de Robespierre, le triomphe est au plus scélérat. Il en serait ainsi de la guerre, d’après les maximes en crédit : la victoire, promise au plus vaillant, appartiendrait au plus meurtrier. Supposons qu’aujourd’hui l’un des souverains de l’Europe possédât seul le secret du fusil et du canon rayé, des fusées à la Congrève, de l’obusier Paixhans : se croirait-il, la guerre s’allumant, autorisé à s’en servir ? Assurément, si nous devons nous en rapporter au droit de la guerre tel que l’entendait Grotius et qu’on l’enseigne encore aujourd’hui. L’histoire est pleine de batailles gagnées par la supériorité des armes, plutôt que par le courage et la force des soldats.

Je dis que de semblables trophées sont chargés de honte et ne prouvent rien. La guerre, telle que la veut le droit de la force, telle que le genre humain la conçoit et que les