Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

castes. Le progrès du travail et le développement des rapports sociaux pouvaient seuls nous faire discerner ce qui est ici de droit d’avec ce qui n’en est pas ; seule l’expérience des choses pouvait nous montrer que si, dans nos relations avec nos semblables, une certaine latitude est laissée aux préférences de l’amitié, devant la justice économique toute acception de personnalité doit disparaître ; et que si l’égalité devant la loi est de rigueur quelque part, c’est surtout quand il s’agit de la rémunération du travail, c’est dans la répartition des services et des produits.

L’opinion exagérée de nous-mêmes, l’abus des préférences personnelles, voilà donc ce qui nous fait violer la loi de répartition économique, et c’est cette violation qui, se combinant en nous avec la recherche du luxe, engendre le paupérisme, phénomène encore mal défini, mais dont les économistes s’accordent à reconnaître l’influence désorganisatrice sur les sociétés et les États.

Essayons de nous en rendre compte.

La pauvreté est cette loi de notre nature qui, nous obligeant à produire tout ce que nous devons consommer, n’accorde pourtant à notre travail rien de plus que le nécessaire. Dans un pays comme le nôtre, ce nécessaire a pour expression moyenne, selon les données les plus récentes, 3 fr. 50 c. par famille et par jour, le minimum étant fixé, par hypothèse, à 1 fr. 75 c., le maximum à 15 francs. Il est entendu que, selon les lieux et les circonstances, ce minimum et ce maximum peuvent varier.

De là, cette proposition aussi vraie que paradoxale : La condition normale de l’homme, en civilisation, est la pauvreté. En elle-même, la pauvreté n’est point malheureuse : on pourrait la nommer, à l’exemple des anciens, médiocrité, si par médiocrité l’on n’entendait dans le langage ordinaire une condition de fortune qui, sans aller jusqu’à