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mépris de la mort, le courage et la vertu ? Dans l’un comme dans l’autre cas, au lieu de pénétrer dans la philosophie de la guerre, nous ne ferions que nous enfoncer de plus en plus dans le mysticisme, et retourner à l’idéal des Cimbres et des Teutons. Faut-il, en un mot, voir dans la guerre un fléau pour l’homme, ou un exercice de sa souveraineté ? Est-elle un phénomène de la physiologie ou de la pathologie des nations ? Est-elle dans le droit, ou hors du droit ; dans la religion, ou hors la religion ? Est-elle commandée, tolérée ou condamnée par la morale ? Dans le premier cas, que pouvons-nous faire pour la rendre meilleure, plus efficace, plus édifiante, plus héroïque ; dans le second, comment nous y prendre pour l’éteindre ?

Pour moi, il est manifeste que la guerre tient par des racines profondes, à peine encore entrevues, au sentiment religieux, juridique, esthétique et moral des peuples. On pourrait même dire qu’elle a sa formule abstraite dans la dialectique. La guerre, c’est notre histoire, notre vie, notre âme tout entière ; c’est la législation, la politique, l’État, la patrie, la hiérarchie sociale, le droit des gens, la poésie, la théologie ; encore une fois, c’est tout. On nous parle d’abolir la guerre, comme s’il s’agissait des octrois et des douanes. Et l’on ne voit pas que si l’on fait abstraction de la guerre et des idées qui s’y associent, il ne reste rien, absolument rien, du passé de l’humanité, et pas un atome pour la construction de son avenir. Oh ! je puis le dire à ces pacificateurs ineptes, comme on me l’a dit un jour à, moi-même, à propos de la propriété : La guerre abolie, comment concevez-vous la société ? Quelles idées, quelles croyances lui donnez-vous ? Quelle littérature, quelle poésie, quel art ? Que faites-vous de l’homme, être intelligent, religieux, justicier, libre, personnel, et, par toutes ces raisons, guerrier ? Que faites-vous de la nation, force de collectivité indépendante, expansive et auto-