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son traité Du Droit de la Guerre et de la Paix. Mais déjà les événements débordent : la Révolution arrive, et l’affreux concert s’élève à un diapason jusqu’alors inconnu.

Ici, arrêtons-nous un instant. Qu’était, ou que devait être la Révolution ?

Comme le christianisme, comme le pacte de Charlemagne, comme la Réforme, la Révolution devait être la fin des guerres, la fraternité des nations, préparée par trois siècles de philosophie, de littérature et d’art. La Révolution, c’était comme qui aurait dit l’insurrection de la raison contre la force, du droit contre la conquête, des travaux de la paix contre les brutalités de la guerre. Mais, à peine la Révolution s’est nommée que la guerre reprend son essor. Jamais le monde n’avait assisté à de pareilles funérailles. En moins de vingt-cinq ans, dix millions d’hosties humaines sont immolées dans ces luttes de géants.

Enfin le monde respire. Une paix solennelle est jurée, un traité de garantie mutuelle signé entre les souverains. Le génie de la guerre est cloué sur un rocher par la Sainte-Alliance. C’est le siècle des institutions représentatives et parlementaires : par une combinaison habile, la torche éteinte de la guerre est remise à la garde des intérêts qui l’exècrent. Les merveilles de l’industrie, le développement du commerce, l’étude d’une science nouvelle, science paisible, s’il en fut, l’économie politique, tout s’accorde à tourner

les esprits vers les mœurs de la paix, à inspirer l’horreur du carnage, à attaquer la guerre dans son idéal. Des sociétés se forment simultanément en Angleterre et en Amérique pour le désarmement. La propagande gagne l’ancien monde ; on tient des meetings, on réunit des congrès, on publie des adresses à tous les gouvernements. Catholiques, protestants, quakers, déistes, matérialistes, rivalisent de zèle pour déclarer la guerre impie, immorale :