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du siècle de fer, armorumque ingruit horror, comme dit le poète, la Paix devient la déesse préférée, tandis qu’on se met à détester la Guerre, monstre infernal. C’est à la tendance des esprits vers la paix, à cet antique espoir d’une compression des discordes, que fut dû en partie le mouvement messianique, dont Auguste fut l’acteur principal, Virgile le chantre, l’Évangile le code, et Jésus-Christ le Dieu.

Qu’y a-t-il de vrai dans cette intuition qu’à chaque grande crise de l’humanité les faiseurs de pronostics se flattent de voir réalisée ?

La guerre et la paix, que le vulgaire se figure comme deux états de choses qui s’excluent, sont les conditions alternatives de la vie des peuples. Elles s’appellent l’une l’autre, se définissent réciproquement, se complètent et se soutiennent, comme les termes inverses, mais adéquats et inséparables d’une antinomie. La paix démontre et confirme la guerre ; la guerre à son tour est une revendication de la paix. La légende messianique le dit elle-même : le Pacificateur est un conquérant, dont le règne s’établit par le triomphe. Mais pas de victoire dernière, pas de paix définitive, jusqu’à ce que paraisse l’Anti-Messie, dont la défaite, consommant les temps, servira de signal tout à la fois à la fin des guerres et à la fin du monde.

C’est pourquoi nous voyons, dans l’histoire, la guerre renaître sans cesse de l’idée même qui avait amené la paix. Après la bataille d’Actium, on proclame, croyant en finir, l’empire unique et universel. Auguste ferme le temple de Janus : c’est le signal des révoltes, des guerres civiles et des incursions des barbares, qui harcèlent l’empire, l’épuisent et l’abaissent pendant plus de trois cents ans.

Dioclétien, avec une grandeur d’âme digne des temps antiques, cherche de nouveau la paix dans le partage : et de son vivant les empereurs associés se font la guerre pour revenir à l’unité.