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son agriculture et de son industrie, qu’a donné cette soi-disant jeune nation ? Ni poètes, ni philosophes, ni artistes, ni politiques, ni législateurs, ni capitaines, ni théologiens ; pas une grande œuvre, pas une de ces figures qui représentent l’humanité au panthéon de l’histoire.

L’Américain sait à merveille produire du blé, du maïs, du coton, du sucre, du tabac, des bœufs, des porcs. Il fait de l’argent ; il multiplie la richesse ; il façonne la terre et déjà l’épuise, bâtit des cités, peuple et pullule à épouvanter l’école de Malthus. Mais où est son idée ? où sa poésie, où sa religion, où sa destinée sociale, sa fin ? A-t-il appris, sur sa terre libre, à résoudre le problème du travail, de l’égalité, de l’équilibre social, de l’harmonie de l’homme et de la nature ?… Assurément, il est nécessaire que l’homme se loge, se vête, se nourrisse, se donne du confort ; il est prudent à lui d’épargner, d’emplir ses greniers, d’assurer ses magasins. Mais pourquoi devenir, pour où aller, grand Dieu ? L’Américain, déjà si ennuyé, saurait-il le dire ? Tout cela est le moyen, l’instrument de la vie ; ce n’en est ni le but ni la signification. De la richesse ! Rien de plus aisé à acquérir, là où la terre abonde, où l’homme, comblé par une nature vierge, ne cherche l’homme que pour lui venir en aide. Mais rien de plus corruptible, et qui se conserve moins. La richesse, par elle-même, est de peu ; elle reçoit sa valeur du génie qui l’emploie, de l’héroïsme qu’elle sert, de la poésie qui lui donne l’illustration. Une nation qui ne saurait que produire de la richesse, on pourrait dire d’elle qu’elle a été créée et mise au monde pour fabriquer du fumier. Il existe en Amérique, depuis Washington et Franklin, une belle tradition de probité politique et domestique : mais Washington, général d’armée, est de l’ancien monde ; quant à Franklin, je n’envie pas à la république des États-Unis ce type de la vertu utilitaire. Déjà, malgré son incalculable richesse, les vices de la civilisation d’où la