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le courage guerrier et la flamme poétique ne peuvent se confondre ; la statue n’est pas le marbre dans lequel elle a été taillée. Mais, si l’artiste a eu l’idée de sa statue, n’est-ce pas en partie parce que la nature lui avait fourni le marbre ? Faites donc une Vénus avec des schistes ! Tout de même, si le poète a eu l’idée de ses chants, n’est-ce pas aussi parce qu’il y avait en lui quelque chose de cet enthousiasme qui fait les héros, et en admiration duquel la guerre a été appelée divine ? J’ai donc le droit de dire, et je répète, que la plus puissante révélation de l’idéal, comme de la religion et du droit, c’est la guerre.

Rien, au jugement de tous les peuples, de plus beau à voir, de plus magnifique, qu’une armée. La Bible n’a pas trouvé de plus juste comparaison quand elle a voulu peindre la beauté de la Sulamite : « Tu es belle, ô ma bien-aimée, s’écrie l’époux du Cantique des cantiques, tu es imposante comme une armée rangée en bataille. » C’est pour cela qu’en tout pays l’armée ligure au premier rang dans les fêtes nationales, dans les pompes du culte et les funérailles illustres. Napoléon, qui avait assisté à tant de batailles, ne pouvait se rassasier de revues, et le peuple est comme lui. Il est positif que le sentiment du beau et de l’art se développe chez les nations avec l’esprit guerrier ; il n’est pas moins vrai que là où celui-ci s’arrête, la poésie et les arts s’éteignent. Les siècles de chefs d’œuvre sont les siècles de victoires. Il n’y a point de poésie, point d’art pour le vaincu, pas plus que pour le boutiquier ou l’esclave.

Le monde moderne a sous les yeux le spectacle d’une société qui, née d’un sang vigoureux, race intelligente et forte, placée dans des conditions exceptionnelles, se développe, depuis quatre-vingts ans, par les seuls travaux de la paix. Certes, l’Américain est un infatigable pionnier, un incomparable producteur. Mais, à part les produits de