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le principe, ou, tout au moins, le coefficient de tout ce que l’homme a tiré ensuite du trésor de sa conscience et de sa raison. Parce que la guerre a été le premier thème sur lequel s’est exercée la pensée religieuse, juridique, poétique, et que ce thème a déteint sur les institutions et les idées, on fera de la guerre, d’un simple accident du développement historique, le principe formateur de la civilisation, l’essence de l’humanité ! Le sophisme est trop grossier pour séduire personne.


» Que la guerre serve de matière à la poésie, il n’y a rien là que de très-concevable, en vertu du précepte :

Il n’est point de serpent ni de monstre odieux
Qui par l’art imité ne puisse plaire aux yeux.

S’ensuit-il que la guerre doive être prise pour le principe de toute poésie, sinon pour la poésie elle-même ? Non, certes : la poésie a son existence à part ; c’est une prérogative de notre nature, comme la raison, la religion, le travail ; une faculté à laquelle la guerre est livrée, comme tout le reste, pour servir à composer des tableaux et des chants ; mais qui est indépendante de la guerre, et que l’on conçoit parfaitement en dehors de toute donnée belliqueuse.

» Pareillement, de ce que la guerre a fourni à la théologie des symboles, à la jurisprudence des formules, à l’économie politique des analogies et des métaphores, en conclurons-nous qu’elle les crée ? Pas davantage. La religion et la justice, comme la poésie, existent par elles-mêmes, antérieurement à tout conflit : bien plus, c’est à l’existence primordiale de la religion et de la justice en nous que la guerre doit ce caractère de réserve que ne connaissent pas les bêtes, et qui rachète, jusqu’à certain point, l’atrocité des combats. Si, dans leur langage, la théologie et le droit empruntent aux pratiques guerrières quelque chose, c’est