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n’est-ce pas encore, et toujours, la raison de la force ? Certes, la force est chose considérable de sa nature et dont il importe de faire état ; mais qu’est-ce que la raison de la force ? Vous n’y croyez pas, légistes et philosophes, à cette raison. Dites-moi donc comment il se fait que le consentement universel en soit si bien convaincu ?

La constitution politique, essentiellement guerrière ou de droit divin, conduit à la loi civile, laquelle a pour pivot la propriété. Qu’est-ce que la propriété, d’après la tradition et le code ? Une émanation du droit de conquête, jus utendi et abutendi. Car, nous avons beau ergoter, en dernière analyse il faut en revenir à la définition de Romulus. Aux distinctions anciennes de patriciens et de plébéiens, de nobles et de roturiers, de bourgeois et de compagnons, a succédé celle de propriétaires et de salariés. L’inégalité des fortunes, c’est-à-dire des forces ou facultés, neutralisant l’égalité politique, ramène à son tour les distinctions honorifiques et les titres de noblesse. La société oscille sur le principe féodal, qui n’est autre que l’idée guerrière, la religion de la force. Eh bien, allons-nous abolir la propriété, parce qu’elle est, comme la monarchie, d’origine guerrière, divine ?

En rappelant ces faits, je suis loin de céder à une intention critique. Je prends la société telle qu’elle est, sans en approuver ni désapprouver les institutions ; et je demande si, en présence de ces faits si généraux, si persistants, si parfaitement liés, il est raisonnable de traiter de chimère, de superstition et de fanatisme, une idée qui depuis soixante ou quatre-vingts siècles mène le monde ; qui remplit la société comme la lumière du soleil remplit l’espace planétaire ; qui fait parmi les peuples l’ordre, la sécurité, aussi bien qu’elle fait les dissensions et les révolutions ; une idée qui comprend tout, qui gouverne tout ; Dieu, la Force, la Guerre ; car il devient évident, à mesure