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cessera d’être divin ; ce sera un fait scientifique. Mais la création de notre globe, celle de l’univers, n’en seront pas mieux connues : pour nous, ce sera toujours du miracle. Le miracle, quoi que nous fassions, est l’involucre inévitable de notre science. Ce qui se laisse aborder par l’analyse, définir, classer, sérier, sort par là même du mystère. Il se range parmi les faits qui, se différenciant, évoluant, formant des genres et des espèces, offrant par conséquent mille prises à l’entendement, tombent sous l’empire du savoir, dès lors relèvent de la raison et du libre arbitre.

Je dis donc que la guerre est, du moins qu’elle est restée jusqu’à présent pour nous, une chose divine : tour à tour célébrée et maudite, sujet inépuisable d’accusations et de panégyriques ; au fond, soustraite jusqu’ici à l’empire de notre volonté, et impénétrable à notre raison comme une théophanie.

Mais en quoi consiste cette divinité de la guerre ?

Si la guerre, ainsi que je le disais tout à l’heure, n’était que le conflit des forces, des passions, des intérêts, elle ne se distinguerait pas des combats que se livrent les bêtes ; elle rentrerait dans la catégorie des manifestations animales : ce serait, comme la colère, la haine, la luxure, un effet de l’orgasme vital, et tout serait dit. Il y a même lieu de croire que depuis bien des siècles elle aurait disparu sous l’action combinée de la raison et de la conscience. Par respect de lui-même, l’homme aurait cessé de faire la guerre à l’homme, comme il a cessé de le manger, de le faire esclave, de vivre dans la promiscuité, d’adorer des crocodiles et des serpents.

Mais il existe dans la guerre autre chose : c’est un élément moral, qui fait d’elle la manifestation la plus splendide et en même temps la plus horrible de notre espèce. Quel est cet élément ? La jurisprudence des trois derniers