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armées ont le plus grand intérêt à s’abstenir de pratiques qui les détruisent par l’indiscipline. On l’avoue, mais on ajoute que tout dépend des circonstances et surtout du but, qui est la victoire.

Eh bien, non, ce n’est pas ainsi que doit se faire la guerre, car ce n’est pas ainsi que s’obtiennent les victoires, je parle des victoires qui durent, qui scellent leur conquête d’un sceau indestructible. Et s’il vous faut une raison de plus, en voici une que j’emprunte au grand capitaine et à laquelle vous ne répliquerez pas.

En principe, d’après les règles combinées du droit de la force et du droit des gens, l’État qui revendique, soit l’incorporation, soit la subalternisation d’un autre État son voisin, doit être non-seulement le plus fort, mais assez fort pour soumettre son adversaire chez lui : ce qui implique que l’armée d’invasion, après avoir fait tout le chemin, doit subsister, aussi longtemps que durera la lutte, de ses propres ressources. Napoléon se récriait, et avec justice, contre la prétention des Anglais de mettre un port en état de blocus par une simple déclaration. Il soutenait que selon les principes de la guerre, pour qu’il y eût blocus, il fallait qu’il y eût une armée d’investissement. La même règle doit s’appliquer à la guerre d’invasion. Sans cela il y aurait tout bénéfice a une bande d’aventuriers de se jeter à l’improviste sur une contrée, de rançonner villes et campagnes, quitte à évacuer la place dès qu’elle ne leur paraîtrait plus tenable.

Dans la dernière campagne d’Italie, il est arrivé, par un cas bien rare, que les puissances belligérantes avaient un intérêt égal à ménager la population envahie : l’Autriche, à titre de souveraine ; la France et le Piémont, à titre de libérateurs. Supposons que les Lombards se fussent comportés en sujets fidèles de l’Autriche : sans compter que l’armée alliée eût été alors fort compromise, admettra-t-on